Introduction
Introduction
Le présent essai résulte d’une réflexion sur l’entrepreneuriat social menée sur la base d’une expérience de terrain. L’auteur se présente comme un entrepreneur social en série, avec quelques 30 années d’expérience en création et gestion d’entreprise, notamment en Afrique. L’essai s’appuie d’autre part sur une analyse critique des conceptions courantes dans le mouvement mondial de l’entrepreneuriat social. Il en est résulté une conception originale de l’entrepreneuriat social qui tantôt emprunte, tantôt corrige, tantôt complète les discours répandus.
Pour désigner cette doctrine de l’entrepreneuriat social, le qualificatif d’« alternatif », utilisé dans le titre de l’ouvrage, est apparu comme le plus approprié, sans être idéal. Car cet adjectif exprime bien l’idée centrale que l’entreprise sociale est un modèle d’entreprise alternatif à celui de l’entreprise capitaliste, ou du moins devrait être ainsi conçue.
La faiblesse de cette qualification négative est qu’elle n’indique rien sur ce en quoi consiste cette altérité. L’exposé va certes la décrire en détail. S’il fallait absolument trouver un qualificatif qui synthétise l’essence positive de ce modèle alternatif d’entreprise, le terme de « civilisé » serait le plus adéquat. Car si l’entrepreneuriat social est une des voies pour sortir du capitalisme, c’est pour aller vers autre chose qui s’exprime le mieux comme étant, pour reprendre les mots de Samir Amin, « un degré supérieur de la civilisation humaine ». Mais parler d’emblée d’entrepreneuriat social civilisé pourrait susciter des contre-sens. Aussi tenons-nous en à l’expression d’entrepreneuriat social alternatif, quitte à ce que une fois la vision assimilée, soit ajouté « et civilisé ».
Loin d’être seulement un exercice théorique, ce texte se veut en plus un guide pratique au service des entrepreneurs sociaux. Aussi le propos est-il ici tourné vers l’action, et s’adresse d’abord à d’autres entrepreneurs qui veulent avoir les idées claires et se demandent comment on peut faire de l’entrepreneuriat social, particulièrement en Afrique.
Car la réflexion est menée depuis un continent du Sud, l’Afrique. Or ce point de vue, depuis la périphérie du système économique mondial, permet de mettre en évidence des aspects souvent négligés dans les conceptions courantes de l’entrepreneuriat social répandues dans les pays du Nord. Une vision africaine anti-impérialiste de l’entrepreneuriat social s’avère non occidentalocentriste, plus universelle, plus achevée. De ce fait, elle s’adresse aussi aux entrepreneurs sociaux du Nord qui peuvent largement tirer leur bénéfice des propositions développées ici.
Un autre trait distinctif de la thèse défendue est qu’elle s’inspire d’une éthique particulière dont les principes sont énoncés. En effet dans les affaires humaines, les conditions objectives et le souci d’efficacité ne peuvent seuls présider au choix des voies et moyens. La culture, avec ses croyances et ses valeurs rétroagit sur les tendances du réel et représente pour les humains la part de l’exercice de leur liberté.
Au final, la conception présentée ici tend à se démarquer des discours courants sur l’entrepreneuriat social par son caractère radical : « radical » dans son sens étymologique, d’aller à la racine, au fond des choses. En fait elle cherche à intégrer en un tout cohérent et à porter à leurs conclusions logiques plusieurs des propositions timides dispersées dans les doctrines courantes, tout en y incorporant des éléments nouveaux.
Le Chapitre I clarifie certains termes, tels ceux d’économie ou d’entreprise, sociale, populaire ou solidaire, afin de mieux cerner l’objet précis du présent essai, à savoir un entrepreneuriat social dit alternatif en raison de son caractère post-capitaliste.
Le chapitre 2 montre la variété des sensibilités au sein du mouvement de l’entrepreneuriat social, chacune apportant sa contribution à une conception mieux unifiée et articulée. Il relève aussi les silences du mouvement sur certains enjeux.
Le chapitre 3 traite du premier trait distinctif de l’entrepreneuriat social, à savoir la primauté de sa finalité sociale sur la rentabilité optimale, finalité exprimée sous forme d’une mission sociale à accomplir et d’une vision de l’avenir vers laquelle tendre. Les conséquences de cette primauté sur la stratégie de l’entreprise (secteurs d’intervention, produits, territoire, clientèle, compétition), sont examinées, de même que sur ses opérations et sa gestion (approvisionnements, ressources humaines, production, marketing, finances). Une contribution majeure de la thèse défendue est le lien indissoluble entre l’entrepreneuriat social et la finance sociale participative, telle que mise au point par la finance islamique, la seule considérée comme compatible avec l’entrepreneuriat social.
Le chapitre 4 développe la seconde dimension de l’entrepreneuriat social, relative à son fonctionnement interne reposant sur le principe d’une démocratisation participative. Sur la base de la distinction essentielle entre les deux notions de Société, phénomène juridique, et d’entreprise, réalité sociale, une conception du statut de l’entreprise sociale est dégagée, celle d’une association à but lucratif de diverses parties prenantes internes et externes, entre lesquelles un processus formel et participatif de prise de décision de plus en plus démocratique doit être instauré. Un statut de l’entreprise sociale est proposé, qu’une nécessaire loi créant ce nouveau type d’entreprise pourrait entériner. En attendant, des indications sont données pour tirer partie des lois actuelles en vue d’approcher le plus possible du modèle organisationnel de l’entreprise sociale. Mais au-delà de la structure démocratique formelle, ce qui importe, c’est la pratique sociale de la démocratie participative dont les mécanismes de fonctionnement sont exposés.
Une entreprise ne pouvant exister sans entrepreneur, le chapitre 5 présente les qualités professionnelles, intellectuelles et morales distinctives de l’entrepreneur social : en particulier son art de la guidance participative.
L’entrepreneuriat social demeurant une intention, l’autocritique est nécessaire pour estimer dans quelle mesure les résultats atteints correspondent aux objectifs. Le chapitre 6 traite de la nécessité pour l’entreprise sociale de faire l’évaluation de son impact sociétal et environnemental et propose une grille à cet effet.
Le chapitre 7 propose une stratégie pour le développement de l’entrepreneuriat social alternatif en Afrique : appel à la création intensive de méso entreprises sociales, critique de la « langue de bois » néo-libérale, services d’accompagnement adaptés à l’entreprise sociale, fonds d’investissement participatif, alliances des entreprises sociales entre elles et avec l’ensemble du mouvement populaire, national et internationaliste.
La conclusion énonce dix traits distinctifs qui caractérisent l’entrepreneuriat alternatif et le positionnent au sein du mouvement de l’entrepreneuriat social. Elle présente finalement l’aboutissement de la réflexion menée ici en donnant une définition synthétique de l’entreprise sociale alternative.